Elle ne tient pas en place. Son cœur cogne contre sa poitrine. Harnachée et cramponnée à la barre de sécurité, elle va voir le monde d'en haut et d'en bas à une vitesse fulgurante. Ce soir, elle a dit qu'elle osait. Parce qu'elle ne veut rien avoir à regretter. Jamais. Elle a laissé sa peur au vestiaire et a décidé de faire confiance à l'engin et à la main de l'homme. Elle hurle. Elle est euphorique. Elle n'a jamais rien vécu de semblable. Cette adrénaline. Cette sensation d'être en vie. Elle sourit, et tapis dans l'ombre, la grande faucheuse aussi. Parce qu'elle, elle sait. Elle a conscience que le prochain tournant de l'attraction sera fatal. Une mort brutale, des cris masqués par le bruit de la tôle qui s'effondre sur le sol. Un requiem de hurlements puis un bourdonnement silencieux, le temps de réaliser. La panique, l'effroi et bientôt des hordes de véhicules d'intervention sur place. Des scellés sont posés à l'entrée du parc, mort, lui aussi.

Six mois après le drame, toutes les attractions sont désormais closes. Barricadées et interdites d'accès par des panneaux aux messages déroutants et inquiétants. Parmi les débris, les rencontres fortuites ne sont pas rares pour autant. Squatteurs, graffeurs, curieux, promeneurs insensés. Les pilleurs pensent qu'il y a encore des choses à piller. Les baiseurs pensent qu'il y a encore des endroits sordides où baiser. Les malins, eux, pensent si naïvement que rien ne les atteint. Mais une fois la barrière franchie, c'est leur souffle qui devient lourd. L'émanation de produits toxiques attaquent leurs poumons, complice des crimes passés. Les moisissures, la corrosion, les décompositions de leurs souvenirs. Partout, la nature a repris ses droits et le parc a des allures de triste fantôme. L'enquête a révélé qu'il s'agissait d'un sabotage, d'homicides volontaires. S'en est suivie une chasse à l'homme, vaine, et le cauchemar aurait pu s'arrêter là. Mais les meurtres ont continué. Négatif serait un euphémisme pour qualifier l'impact que ces évènements ont eu sur la ville et ses habitants. Le parc, source essentielle des revenus de la ville et de l'activité touristique, a emporté dans sa chute son économie jadis florissante. L'inquiétude, l'inefficacité des services de police et la terreur des meurtres qui se perpétuent font fuir les habitants, les uns après les autres. Ceux qui restent doivent continuer d'évoluer avec cette ville fantôme au futur incertain en enchaînant les comportements déviants pour vivre, ou survivre.